GRANT MORRISON & FRANK QUITELY - ALL STAR SUPERMAN
Grant Morrison déploie depuis vingt ans autant de bons concepts que de très bonnes façons de les gâcher. Chez DcComics et son petit frère de la ligne mature/ado Vertigo, spécialiste du bizarre, du mysticisme (mais pas autant qu'Alan Moore tout de même), du futurisme et donc de la vitesse et de la violence. Ça va faire vingt ans qu'on attend qu'il nous impressionne à force de raconter des borborygmes d'histoires fatiguées et débordantes de bluff, trop pour qu'on puisse les prendre au sérieux. Reconnu pour l'objet culte Doom Patrol, reprise d'une vieille équipe type X-Men mais côté DC, de freaks sublimes et sensibles. Comme un grand coup d'épée dans l'eau Morrison se servait du principe de base (des personnages aux pouvoirs qui veulent tout et rien dire à la fois) pour laisser sur le bas-côté la personnalité même de son équipe. On s'ennuie sec sur 40 épisodes pour vraiment s'amuser sur deux ou trois. Morrison n'avait jamais été aussi talentueux que sur We3, plein de bon esprit et d'une tendresse communicative pour son petit embryon d'univers. Une centaine de pages et donc vingt minutes de lecture plus tard notre peau tremble et on a l'impression d'avoir ressenti l'inventivité d'un grand film des années 2000 et l'émotion de 30 millions d'amis. Aujourd'hui encore, Morrison tente de se surprendre.
Comme il avait pu le faire avec les X-Men au début des années 2000 et avec Batman dernièrement, Morrison s'est astreint à donner sa vision très personnelle sur un autre grand superhéros américain : Superman donc. Cela veut dire reprendre les concepts les plus obscurs et ambigus développées durant les soixante dernières années et tenter de les englober dans un tout cohérent. Ça veut dire pour moi, à l'inverse de ses New X-Men, beaucoup de froncements de sourcils et d'interrogations béates. Oui parce que Superman et moi nous connaissons mal. Attendez vous donc à du voyage dans le temps, aux origines du héros dans sa petite ferme à Smallville, au monde Bizarro où pullule une armée de doubles de Superman (qui, par exemple, font tout à son inverse, autant au niveau de l'expression que des sensations) ou encore un mystérieux projet secret tenu par un milliardaire fou et caricatural prêt à toutes les excentricités pour s'amuser mais aussi pour améliorer l'univers. Attendez vous à beaucoup d'excentriques qui veulent améliorer la race humaine, d'ailleurs.
Au contraire de ses longues séries sus-citées l'auteur se limite ici à douze numéros de vingt-deux pages ; pas plus. Douze numéros pour annoncer la mort de Superman dès son ouverture, retraverser les périodes les plus dures de sa vie (la mort de son père adoptif, sa relation tumultueuse avec Loïs Lane, entre autres) et tenter d'imposer une sorte de conclusion au statut même de super-être dans l'univers de la fiction autant que dans l'univers dit réel. L'histoire sera traversée par douze épreuves plus ou moins clairement énoncées, les douze travaux de Superman (comme guérir le cancer, fabriquer un cœur artificiel pour le soleil, redonner sa taille normale à une ville miniature, répondre à la question à laquelle on ne peut trouver de réponse, vaincre le tyran-soleil, créer la vie, etc.) comme un ultime testament à l'humanité qu'il chérit tant. Car sur la planète Terre c'est les rayons du soleil qui entretiennent les pouvoirs du superhumain. Jusqu'à ce que Superman soit victime d'un empoisonnement, d'une sorte d'overdose qui le mènera à lentement décliner pour finalement disparaître. Plus qu'une revisite du mythe on assiste donc plutôt à une possible conclusion au personnage qui animait les yeux des enfants il y a encore 50 ans mais qui a depuis acquis d'avantage le statut d'hasbeen désuet.
La désuétude ce comicbook en est l'incroyable signature. Superman est d'une puissance qui frôle le ridicule, il est capable de tout, toujours du meilleur, et c'est peut-être ce qui agace tellement son Némésis Lex Luthor (présenté ici comme un petit diable à l'égo dément, d'une intelligence extrême, capable de guérir le cancer de ta sœur avec une épingle à cheveux et une batterie, en gros). Quand Loïs Lane est capturée par un puissant automate géant ce sera l'instant d'une page, pour rétorquer à Superman "Ne demande même pas ce qui s'est passé", avant que le géant de fer se fasse écraser en une poignée de secondes (bien sûr, personne ne peut battre Superman) et pour finalement avouer plus tard que c'était la solution la plus simple qu'elle ait trouvé pour parler à Superman de leur amourette contrariée. Tout est démesure et bariolage. Tout est mise en perspective, en déclamations, en idées plus qu'en incarnation. Et malgré ça on éprouve comme rarement une tendre empathie pour le personnage de Superman.
Superman dit pouvoir sauver tout le monde. Il s'en fait un devoir. Il croit en l'humain plus qu'en lui-même. Il sait qu'il va mourir et devra donc préparer sa descendance. De bonheur il ne connaîtra pas. Il devra plutôt séquencer tout son génome pour espérer pouvoir se cloner et laisser l'univers sous une bonne protection. Superman devient la représentation d'une lignée, le début d'une race, animé par autant de bons sentiments que de super pouvoirs. Le futur de l'homme ? Le comics se permet de lancer la question avec beaucoup de sérieux. Et dans un monde sans Superman nous ne pourrions nous empêcher de l'inventer.
Pourtant Superman est Clark Kent, comme toujours, mais ici avec plus de brio et de panache. Un vrai travail de double-personnalité est mis en place qui fait que personne jusqu'à l'éventuelle et inévitable chute du superhéros ne voudra croire à cette révélation. Superman est grand, immense même, musclé et imposant. Clark Kent aussi, mais il porte des vêtements trop larges, des lunettes et est aussi gauche qu'un clown. Le transfuge d'une personnalité à l'autre se fait tout en rigidité et pourtant on ne peut s'empêcher de se dire que Morrison & Quitely trouve l'une des plus belles idées avancées par l'existence même de ce personnage : Superman & Clark Kent sont autant les mêmes qu'ils sont différents. L'un a besoin de l'autre pour subir les railleries, garder les pieds sur terre et ainsi plus que jamais alimenter sa motivation, l'autre a besoin du premier pour espérer un jour aimer Loïs Lane et qu'elle l'aime en retour, pour rêver d'un monde meilleur. D'une certaine façon Clark Kent est le meilleur public possible pour Superman.
Les soleils se débattront avec les mangeurs de soleils, les explosions deviendront autant synonymes de morts que de renaissances, le futur déjà écrit d'avance et transmis par messages prophétiques on ne peut que relire l'histoire et s'assommer devant la réalité glaciale et triste : tout est immuable ; l'humanité ne fait pas un pas en avant ; les images et les copies deviennent le noyau dur et concentré de l'histoire de l'humanité et de son pendant supérieur. Frank Quitely démontre tout, avec vigueur et précision, chaque corps flasque mais pourtant plein de vie, chaque coup de poing qui entraîne des destructions. C'est vertigineux de voir un seul baiser partagé sur la lune et de comprendre qu'en quelques tractations et échanges l'histoire du futur humain, du possible, est belle et est née aussi dans la tendresse. Séquences, quelques pages et cases suffisent, pour que Superman déclare son amour pour toutes les formes vivantes de l'humanité, sans jamais les tuer vraiment, toujours en essayant de les comprendre, en tentant de se mettre à notre place pour qu'un jour on puisse nous aussi grandir, prendre notre destiné en mains. Les ramifications sont complexes. Pas de clivage naïf entre le bien et le mal mais des différences de méthodes. Les points de vue convergent doucement pour atteindre l'image finale de Superman, dans toute son apothéose sa grâce et son frémissement. On peut améliorer les choses. Plus qu'un début ou une fin All Star Superman c'est l'agenda de Superman, comment il rend visite aux enfants cancéreux le matin pour trouver une formule pour les guérir l'après-midi, comment il met fin au règne d'un despote à 13 heures pour ensuite susurrer, comme toujours, au creux de l'oreille de Loïs que rien ne sera jamais possible entre eux. A minuit, seul, jamais épuisé, jamais renonçant, Superman rêve à un monde meilleur, pour lui, pour les autres. Chaque instant de son existence tendu vers un idéal commun. Tout sacrifier pour ne jamais atteindre son propre rêve : vivre amoureux de Loïs Lane. Seul, ce monde meilleur ne sera toujours que rêverie, sacrifié pour nous expier et nous amener à comprendre que sans Superman quelqu'un, l'un d'entre nous, devra prendre sa place. La Bible indiquait des préceptes et des commandements, Superman les renouvelle.
Jamais Grant Morrison n'aura raconté une histoire aussi savante, jamais Frank Quitely n'aura aussi intelligemment dessiné.
Comme il avait pu le faire avec les X-Men au début des années 2000 et avec Batman dernièrement, Morrison s'est astreint à donner sa vision très personnelle sur un autre grand superhéros américain : Superman donc. Cela veut dire reprendre les concepts les plus obscurs et ambigus développées durant les soixante dernières années et tenter de les englober dans un tout cohérent. Ça veut dire pour moi, à l'inverse de ses New X-Men, beaucoup de froncements de sourcils et d'interrogations béates. Oui parce que Superman et moi nous connaissons mal. Attendez vous donc à du voyage dans le temps, aux origines du héros dans sa petite ferme à Smallville, au monde Bizarro où pullule une armée de doubles de Superman (qui, par exemple, font tout à son inverse, autant au niveau de l'expression que des sensations) ou encore un mystérieux projet secret tenu par un milliardaire fou et caricatural prêt à toutes les excentricités pour s'amuser mais aussi pour améliorer l'univers. Attendez vous à beaucoup d'excentriques qui veulent améliorer la race humaine, d'ailleurs.
Au contraire de ses longues séries sus-citées l'auteur se limite ici à douze numéros de vingt-deux pages ; pas plus. Douze numéros pour annoncer la mort de Superman dès son ouverture, retraverser les périodes les plus dures de sa vie (la mort de son père adoptif, sa relation tumultueuse avec Loïs Lane, entre autres) et tenter d'imposer une sorte de conclusion au statut même de super-être dans l'univers de la fiction autant que dans l'univers dit réel. L'histoire sera traversée par douze épreuves plus ou moins clairement énoncées, les douze travaux de Superman (comme guérir le cancer, fabriquer un cœur artificiel pour le soleil, redonner sa taille normale à une ville miniature, répondre à la question à laquelle on ne peut trouver de réponse, vaincre le tyran-soleil, créer la vie, etc.) comme un ultime testament à l'humanité qu'il chérit tant. Car sur la planète Terre c'est les rayons du soleil qui entretiennent les pouvoirs du superhumain. Jusqu'à ce que Superman soit victime d'un empoisonnement, d'une sorte d'overdose qui le mènera à lentement décliner pour finalement disparaître. Plus qu'une revisite du mythe on assiste donc plutôt à une possible conclusion au personnage qui animait les yeux des enfants il y a encore 50 ans mais qui a depuis acquis d'avantage le statut d'hasbeen désuet.
La désuétude ce comicbook en est l'incroyable signature. Superman est d'une puissance qui frôle le ridicule, il est capable de tout, toujours du meilleur, et c'est peut-être ce qui agace tellement son Némésis Lex Luthor (présenté ici comme un petit diable à l'égo dément, d'une intelligence extrême, capable de guérir le cancer de ta sœur avec une épingle à cheveux et une batterie, en gros). Quand Loïs Lane est capturée par un puissant automate géant ce sera l'instant d'une page, pour rétorquer à Superman "Ne demande même pas ce qui s'est passé", avant que le géant de fer se fasse écraser en une poignée de secondes (bien sûr, personne ne peut battre Superman) et pour finalement avouer plus tard que c'était la solution la plus simple qu'elle ait trouvé pour parler à Superman de leur amourette contrariée. Tout est démesure et bariolage. Tout est mise en perspective, en déclamations, en idées plus qu'en incarnation. Et malgré ça on éprouve comme rarement une tendre empathie pour le personnage de Superman.
Superman dit pouvoir sauver tout le monde. Il s'en fait un devoir. Il croit en l'humain plus qu'en lui-même. Il sait qu'il va mourir et devra donc préparer sa descendance. De bonheur il ne connaîtra pas. Il devra plutôt séquencer tout son génome pour espérer pouvoir se cloner et laisser l'univers sous une bonne protection. Superman devient la représentation d'une lignée, le début d'une race, animé par autant de bons sentiments que de super pouvoirs. Le futur de l'homme ? Le comics se permet de lancer la question avec beaucoup de sérieux. Et dans un monde sans Superman nous ne pourrions nous empêcher de l'inventer.
Pourtant Superman est Clark Kent, comme toujours, mais ici avec plus de brio et de panache. Un vrai travail de double-personnalité est mis en place qui fait que personne jusqu'à l'éventuelle et inévitable chute du superhéros ne voudra croire à cette révélation. Superman est grand, immense même, musclé et imposant. Clark Kent aussi, mais il porte des vêtements trop larges, des lunettes et est aussi gauche qu'un clown. Le transfuge d'une personnalité à l'autre se fait tout en rigidité et pourtant on ne peut s'empêcher de se dire que Morrison & Quitely trouve l'une des plus belles idées avancées par l'existence même de ce personnage : Superman & Clark Kent sont autant les mêmes qu'ils sont différents. L'un a besoin de l'autre pour subir les railleries, garder les pieds sur terre et ainsi plus que jamais alimenter sa motivation, l'autre a besoin du premier pour espérer un jour aimer Loïs Lane et qu'elle l'aime en retour, pour rêver d'un monde meilleur. D'une certaine façon Clark Kent est le meilleur public possible pour Superman.
Les soleils se débattront avec les mangeurs de soleils, les explosions deviendront autant synonymes de morts que de renaissances, le futur déjà écrit d'avance et transmis par messages prophétiques on ne peut que relire l'histoire et s'assommer devant la réalité glaciale et triste : tout est immuable ; l'humanité ne fait pas un pas en avant ; les images et les copies deviennent le noyau dur et concentré de l'histoire de l'humanité et de son pendant supérieur. Frank Quitely démontre tout, avec vigueur et précision, chaque corps flasque mais pourtant plein de vie, chaque coup de poing qui entraîne des destructions. C'est vertigineux de voir un seul baiser partagé sur la lune et de comprendre qu'en quelques tractations et échanges l'histoire du futur humain, du possible, est belle et est née aussi dans la tendresse. Séquences, quelques pages et cases suffisent, pour que Superman déclare son amour pour toutes les formes vivantes de l'humanité, sans jamais les tuer vraiment, toujours en essayant de les comprendre, en tentant de se mettre à notre place pour qu'un jour on puisse nous aussi grandir, prendre notre destiné en mains. Les ramifications sont complexes. Pas de clivage naïf entre le bien et le mal mais des différences de méthodes. Les points de vue convergent doucement pour atteindre l'image finale de Superman, dans toute son apothéose sa grâce et son frémissement. On peut améliorer les choses. Plus qu'un début ou une fin All Star Superman c'est l'agenda de Superman, comment il rend visite aux enfants cancéreux le matin pour trouver une formule pour les guérir l'après-midi, comment il met fin au règne d'un despote à 13 heures pour ensuite susurrer, comme toujours, au creux de l'oreille de Loïs que rien ne sera jamais possible entre eux. A minuit, seul, jamais épuisé, jamais renonçant, Superman rêve à un monde meilleur, pour lui, pour les autres. Chaque instant de son existence tendu vers un idéal commun. Tout sacrifier pour ne jamais atteindre son propre rêve : vivre amoureux de Loïs Lane. Seul, ce monde meilleur ne sera toujours que rêverie, sacrifié pour nous expier et nous amener à comprendre que sans Superman quelqu'un, l'un d'entre nous, devra prendre sa place. La Bible indiquait des préceptes et des commandements, Superman les renouvelle.
Jamais Grant Morrison n'aura raconté une histoire aussi savante, jamais Frank Quitely n'aura aussi intelligemment dessiné.
9/10
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire