mardi 8 juin 2010

Treme : Vitalité, survivance.


DAVID SIMON & ERIC OVERMYER - TREME

Treme c'est quoi comme me le demandait l'astucieux Axel Cadieux avant sa sortie ? "une série sur la trompette ?" et oui, c'est exactement ça. David Simon, grand discoureur politique devant l'éternel, acharné, journaliste de formation, Michael Moore surdéveloppé rageur mais dévoré par l'amour qu'il porte au peuple, lui, a réalisé au moins deux des plus grandes séries de tous les temps : Generation Kill et The Wire. La guerre en Irak le temps d'une mini-série de 7 épisodes puis (mais en fait avant selon l'ordre de sortie) cinq saisons haletantes d'intrigues policières, d'exploration de Baltimore et de son empire de la drogue, pour finalement s'étendre s'étendre défricher sans jamais se limiter. Ascension politique, difficultés rencontrées par la rédaction d'un journal local, joies et peines dans le système éducatif, et j'en passe. The Wire c'est un pamphlet, une étude, un essai autant qu'un crachat en plein visage de l'Amérique. Le système gangréné y est pointé du doigt et tordu en tous sens. Quelques individualités s'en extirpent ou tentent de le détruire de l'intérieur, consciemment ou non. De ce fait David Simon (et Ed Burns, son collègue de l'époque, ancien policier de Baltimore) n'a de cesse de se répéter sans jamais nous infliger de paternalisme sibyllin. Baltimore devient l'épicentre de l'Amérique, là où tout s'y passe et où tout y tourne mal. Et de cette cristallisation naissait d'avantage de riches questionnements que de paresse fictionnelle.

Accompagné aujourd'hui d'Eric Overmyer, une nouvelle équipe pour un nouveau recentrage. 2010 qu'importe, on va remonter le temps jusqu'en 2005. Katrina a fait ses ravages, la Nouvelle-Orléans tient à peine debout. Là où Baltimore inquiétait la Nouvelle-Orléans fait tout pour se faire aimer de nouveau. En continuant à s'inquiéter de destins locaux David Simon tente toujours d'ouvrir les États-Unis au reste du monde par sa diversité, sa culture de la mort et de l'affrontement parfois, mais aussi son envie de bien faire, de cuisiner, de créer, d'inventer de la musique. A nouveau on sera confronté à une impressionnante galerie de personnages (dont beaucoup d'acteurs que Simon connaît déjà de par The Wire ou The Corner, l'une de ses premières mini-séries basées sur la vie dans les rues de Baltimore) mais ici on aura tout notre temps pour que croisse nos sentiments envers eux. S'il y a quelque chose qu'on ne peut reprocher à Treme c'est d'être pressé ; là où malheureusement The Wire, faute d'audience convenable mais sauvée par les dirigeants d'HBO qui voyaient l'importance même de l'existence de la série, finissait essoufflée dans la précipitation.

Ah oui au fait Treme est un quartier de la Nouvelle-Orléans. Un quartier où traîne nos personnages mais des quartiers il y en aura d'autres. Ces personnages se sont avant tout des musiciens. Jazz dans de petits cafés pour essayer de payer les factures, brassbands qui défilent dans des rues grises et encore humides pour accompagner les processions, les morts, les disparus. Véritable fête parfois, carnavals, lors du retour d'une grande partie des habitants de la Nouvelle-Orléans, ou encore espoir de pouvoir mettre en place le jour de Mardi Gras malgré l'absence de logements convenables, d'électricité, de commodités, d'une bonne part de la population. Un quotidien martyr mais non exempt de trouvailles, de tendresse, de renouveau et de retrouvailles. Quand certains font de la musique d'autres cuisinent, osent parfois même penser à leurs carrières, ou préparent leurs danses. La vitalité empreigne Treme d'une présence toute particulière seulement entr'aperçue à la télévision. Dans The Wire nous étions toujours tirés entre misérabilisme et combat, entre meurtre et substitut pour tout oublier. Dans Treme parfois il y aura des échanges violents, parfois les gens ne sauront s'exprimer qu'en criant et en fusillant, mais souvent on essaiera de trouver des solutions. Et quand on y pense c'est déjà beaucoup.


John Goodman en est d'ailleurs l'avatar parfait, petite bêtise incrustée au casting, transfuge des frères Coen, mais qui prend ici toute sa dimension dramaturgique. En découvrant Youtube le personnage de Goodman apprendra comment mettre un peu de la Nouvelle-Orléans dans le reste du monde, comment cracher sa bile sur la face des politiques, comment crier son dédain et son désespoir. Fuck sera le nouveau mot d'ordre. Ni même vraiment verbe ni adjectif, le mot deviendra plutôt une aura, une armure, une façon de se remettre en piste alors qu'on nous avait mis à genoux. Fuck. Sans vraiment y croire ces petites vidéos Youtube impressionneront et on parlera un peu plus de la Nouvelle-Orléans ce soir. Quand le personnage de John Goodman ira prendre un café au coin de la rue on le reconnaîtra, le congratulera, l'emmerdera peut-être. De temps en temps ce sera une violoniste qu'il croisera, un pseudo-politique guignolo, musicien lui aussi, ou d'autres. Tant de personnages qui nous intéresseront tout le long de ce début de série. La Nouvelle-Orléans est grande la Nouvelle-Orléans est petite. Le concept de film choral est réécrit à la hauteur d'une ville voire d'un quartier là où des fantoches comme Alejandro González Iñárritu tente d'en faire un concept planétaire et essaieront même sûrement de nous écrire un jour des histoires d'amour avec des extraterrestres. Ici non. Bonjour, ah oui, salut, ça va ? Chouette ton concert hier soir, je te remercie ; et bonne route. Il y a quelque chose de rassurant que de voir tous ces personnages principaux suivre leurs trajectoires et s'arrêter un instant pour s'inquiéter de l'autre, le saluer, et continuer à alimenter sa communauté en pensées et en coups de gueule.

A l'heure où j'écris ces lignes huit épisodes sur dix produits ont d'ores-et-déjà été diffusés. Une seconde saison est commandée et prévue pour avril/mai 2011. Treme fait parler, beaucoup même, autant en incompréhensions qu'en louanges. De longues plages de dix minutes de morceaux de jazz entrecoupées de discussions, forcément, ça surprend son monde. Dans la forme Treme ne s'embarrasse de rien ni de personne. Les idées passent et repassent et la série suit son chemin, sans véritable envie de conclusion en tête (quand on sait ce qui se passe aujourd'hui en Louisiane comment l'inverse serait-il possible ?), pendant cinq ou dix ans si elle le peut. Elle ne le pourra pas, non. On pourra se dire qu'en regardant Treme on ne pourra encore une fois, après The Wire, que s'auto-congratuler, que tout ça c'est perdu d'avance, qu'elle confortera encore et seulement notre image d'européen bon penseur face à l'idiotie d'outre-Atlantique. La télévision comme nouveau moyen d'expression politique, comme vérités éclatées sur une table autant que propositions murmurées, David Simon l'a compris et l'accepte. Et nous n'aurons pas encore la prétention et le courage d'améliorer les situations qui nous semblent le mériter mais je suppose que le premier pas vers un quelconque achèvement politique tient de l'apprentissage, la mise en perspective, l'imprégnation. Treme nous propose d'apprendre à connaître la Nouvelle-Orléans. Juste un peu. Dieu sait ce qu'on fera de ce savoir. Mais si cela ne s'en tient qu'à danser, chanter, blaguer, ce n'est pas peu de choses.

2 commentaires:

Axel Cadieux a dit…

Très cool message d'introduction à l'une des meilleures séries encore en cours. Et tu verras, le huitième épisode, peut-être le meilleur, accrédite encore un peu plus ton point de vue quant aux rencontres fortuites entre les personnages.

Une petite chose : "The Wire [...] c'est un crachat en plein visage de l'Amérique", je dis non non non (soit trois fois non). Simon & Burns ne peuvent que respecter et admirer le mythe américain, ses fondations et ses tentacules. Cet amour transpire de partout. Mais de toute manière je sais très bien que tu le sais ; tu écris juste trop vite, tu fais tout toujours trop vite.

Hugues Derolez a dit…

Et oui. Tant mieux d'ailleurs. Sinon je serais peut-être chiant à lire.