samedi 26 juillet 2008

...mais ce que j'ai vu dans ton visage, aucun pouvoir ne saurait t'en déposséder...



« ...
Ton nom et tes exploits
Étaient déjà oubliés
Avant que tes os
Ne fussent desséchés
Et le mensonge qui t’a tué
Est enseveli
Sous un mensonge
Plus noir encore.
Mais ce que j’ai vu
Dans ton visage,
Aucun pouvoir
Ne saurait t’en déposséder.
Jamais il n’a éclaté de bombe
Qui puisse briser
l’âme de cristal. »

George Orwell


GRANT MORRISON & FRANK QUITELY - WE3


1, 2 et 3 sont autant d'animaux raflés par le gouvernement Américain et transformés en machines de guerre technologiquement hors normes. Ils restent attachants.
Quand 4 est mis en service 1 2 et 3 deviennent obsolètes. Ils s'échappent du complexe militaire qui était leur maison, sans remord pour leurs crimes anti-humains, uniquement motivés par l'instinct.

Là où une heure s'écoule dans la diégèse de FreakAngels en six mois pour le lecteur il suffira de vingt minutes pour parcourir We3. C'est important et précieux.

D'un concept de série B on s'étonne de la clarté visuelle et narrative de Morrison, un homme toujours motivé par des projets rocambolesques et démesurés ; dorénavant hype et tentant de remettre un peu d'ordre dans les titres mainstream les plus vendeurs (chez Marvel au début des années 2000 et chez DC actuellement).
Mille idées auparavant, une seule aujourd'hui, belle est bien faite.

La pertinence des traits et de la mise en scène font de We3 un aboutissement pour l'auteur comme pour le dessinateur. C'est avec plaisir que nous y découvrons le premier véritable récit animalier (en comicbook). Les visages des hommes dépassent du cadre, nous ne les voyons pas, ce qui nous pousse à les détester d'avantage. En dizaines d'inserts vifs et brûlants nous voyons néanmoins quelques crânes, ravagés, des millions de balles qui sifflent et l'anatomie humaine déployée de toutes les façons possibles et imaginables.
Décrire la stupidité ne met jamais personne à l'aise. C'est une perspective hautaine et maladroite et en prenant le parti-pris de nous narrer de la science-fiction Morrison ne se permet pas d'être proche des hommes, de leur psychologie, de leur manque de tempérance. En fait il préfère montrer tout ce que l'homme anéantit.
La violence même est malmenée, déroulée et démultipliée. On ne compte plus les centaines de cases où l'homme ne paraît que comme petit sac de viande ouvert.

On ne voit guère que les rats et les hommes comme membres de la même terrible espèce.



Les armes du futur sont intelligentes, et avec toute intelligence vient vertus, troubles et affectivité. C'est en rendant des bêtes un peu plus humaines qu'elles deviennent plus belles. Et que les humains s'approchent des animaux. L'humanité dans sa grande forme n'est pas décriée dans We3, loin de là, elle est respectée et remise à sa véritable place. Vivre ensemble est certainement le crédo qui manquait aux œuvres de Morrison. Pour toucher et devenir sensible.

C'est tout de même un plaisir, humain et beau, et également un plaisir de l'esprit. Très égoïste. Les animaux vivent, meurent, maltraitent et cherchent refuge. Que voir dans leurs visages ? La tendresse que je ressens s'explique car ce ne sont pas que des animaux. C'est une part de nous (criante de vérité) qu'on s'est souvent astreint à oublier, à éteindre. Ce sont des animaux qui ne pleurent pas, qui se fatiguent et qui parlent. L'un se sacrifie pour les siens et l'homme en fait de même. Le statut d'être et d'animal est obsolète. Le sacrifice c'est l'amour. Ils ne se battent pas, fuient et nous font recouvrer un amour primal, peut être totalement débarrassé des névroses et mauvaises attitudes ; rendre grâce, attendre, courir, et comprendre un peu de l'immortalité à travers une image (mais bon sang laquelle au juste ? Peut être quand le chat mange la souris. Peut être quand ils croient trouver une maison). Captive, l'âme de cristal.

Tout se termine en cohabitation. Par quelques tics visuels évidents on en vient à se méfier de tout personnage. Et pourtant c'est quand le plaisir de connaître l'autre apparaît que, malgré les blessures, on referme We3 en croyant avoir appris quelque chose.

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