mardi 15 juin 2010

Red Dead Redemption : Ici démeure nos rêves et nos misères


ROCKSTAR GAMES - RED DEAD REDEMPTION

Encore et encore et encore les décors défileront et nous chevaucherons jusqu'à ce que le soleil disparaisse. Autre époque autre monture. Le vertige de la vitesse demeure. Aujourd'hui, ou hier, nous sommes John Marston, cowboy, ancien bandit, héros au passé trouble s'il n'en faut, gâchette hors pair, loyal ou déloyal à convenance, représentation malléable, belle petite chose à apprivoiser. Le passé importe peu et nous n'y goûterons d'ailleurs que par gouttes. Les deux pieds dans le sable, le soleil bruyant, il faudra d'abord se faire tirer dessus pour espérer être sauvé. Notre épopée commence donc avec douceur, là où on devra dresser des chevaux et acheminer du bétail. Dans le silence de l'ouest.

Maintenant plus de musique. Rien ne sert de s'en cacher : Red Dead Redemption est une transposition de GTA IV et de ses aînés. Les systèmes de jeu sont bien établis ; espérons seulement que Rockstar n'aura pas l'audace de nous faire le coup tous les cinq ans. Car le concept de l'univers ouvert truffé de missions, de choix cornéliens, d'envies de meurtres ou de vengeances, peut-être exposé à l'infini selon différents lieux, situations, contextes. Et ça marcherait à coup sûr. Mais un projet né dans une telle fainéantise ne pourrait qu'à moitié me charmer. Red Dead Redemption sera donc l'exception qui confirmera la règle que je viens d'édicter.

De ville en ville, de colline en colline, pour voir le soleil pointer au loin et pour défroquer des vilains. Rien ne change. L'aridité du décor et de l'atmosphère, elle, est toute nouvelle et saisissante. Une certaine idée de l'austérité tantôt rassurante tantôt mortifère. Les premiers temps seront marqués par des chevaux qui traînent la patte, des errances, encore, des discussions autour de ce lieu qui forge l'homme, et non l'inverse, la destinée manifeste, le goût du dur labeur. Pourtant quelque chose de singulier s'intercalera dans toutes nos batailles, nos palabres. Je crois que ça a voir avec le fait que nous, en tant que héros, détestons cet endroit et tout ce qu'il représente. En cela Red Dead Redemption est le pendant sardonique et vicieux de la lignée Grand Theft Auto (trois mots toujours, décidément). Partout où on traînera nos guêtres, car il n'est question de ça ici, traîner, et non grimper une quelconque échelle sociale, on se perdra sur de petites routes et on fusillera les vautours. Pour tromper l'ennui. On effectuera plusieurs tâches, plusieurs services, pour se rendre un peu utile. Mais John Marston, notre personnage, n'a rien à faire ici et il le sait. Niko Bellic, flamboyant immigré au centre de GTA IV, arrivait dans la ville de New York pour faire couler le sang. Toujours il est question de nouvel habitat, d'un bateau qui encadre la séquence d'ouverture des jeux Rockstar, de quelqu'un qui pose le pied quelque part pour tuer. Sans être allé jusqu'au bout de Red Dead Redeption j'ai bien compris que nous n'aspirions ici qu'à cela. Une folie furieuse aux références évidentes, les plus grands Peckinpah et une idée du western non pas en forme de découverte mais de retour sur les lieux, retrouvailles avec le crime, ou le mal. Les balles vont tomber et les corps avec jusqu'à ce que le sang embue notre vision. Nous tomberons, sûrement, en essayant de tuer mille et mille comme ultime rédemption. Le goût du sang paiera nos erreurs. Dans GTA IV le goût du sang s'oubliait, la vengeance était continuellement désamorcée, jusqu'à ce que notre personnage et nous tout autant nous nous rendions compte que nous allions trouver mieux à faire.


En ce sens Red Dead Redemption s'approche d'une gigantesque balade, discussions de philo' à la naïveté confondante et à dos de cheval, rencontres avec des pilleurs de tombes et quelques notes qui semblent sonner au loin. D'une tradition séculaire du western. Le soleil qui nous chauffe le dos, le colt à la main, une balle un mort ; pour s'écrouler nous aussi un peu plus tard et nous n'aurons rien gagné. La fantaisie totale d'un jeuvidéo de genre continue malgré tout de faire son effet : on se bat dans un refuge et un divertissement. On apprend à devenir un autre. Là où GTA voulait mettre un autre levier en route, quelque chose pour moi de plus personnel, qui attendait à ce que je m'investisse plus en lui. Je devais plutôt choisir qui je voulais être. Me battre pour une cause que je devais m'inventer. Foncer à vive allure sur les autoroutes pour défier la pluie. Ou plutôt dealer du crack par appât du gain. L'un n'empêchait jamais l'autre bien évidemment (dans la ville de toutes les possibilités). Mais c'était moi avec la ville là où Red Dead Redemption me propose d'être un autre qui erre dans le désert sidérant des choix et des options. Ça doit être le soleil, je ne sais pas, mais parfois on perd un peu l'esprit, on descend de son cheval et on a seulement envie de tirer vers le ciel pour essayer de comprendre ce qu'on fait là.

La difficulté n'est plus vraiment la même également. Quelques affrontements avec des bandes rivales éclatent dès les débuts du jeu et ce jusqu'à son dénouement. Il faudra toujours être un peu adroit et vivace mais ce n'est pas cette épreuve là qui devrait poser le plus de problèmes. C'est d'avantage la prise en main de l'univers dans lequel on vit (même si Red Dead Redemption réinstitue le concept de mort que les jeuxvidéos tentent d'évacuer depuis plusieurs années déjà). La mort pourra intervenir à chaque coin de rue. On sera provoqué en duel. A chaque coup, presque par chance, on utilisera une combinaison de bouton et on massacrera l'ennemi. Et parfois, sans bien comprendre, quelque chose ne fonctionnera pas. La chance sûrement. On tombera à terre, emporté. On tombera de son cheval. On tombera dans un ravin après un faux pas. On trébuchera. On mourra toujours par accident. N'est-ce-pas comme ça que disparaissent les plus grands héros finalement ? On meurt avec rage et stupeur et plus seulement dans le cadre limité d'un jeu.

Et c'est dans sa partie multijoueur que Red Dead Redemption s'imposera comme un vrai jeu sensible. Partie bien plus travaillée que celle de GTA IV d'ailleurs. Au choix on naviguera d'un mode dit "d'exploration", petit univers ouvert qu'on partagera avec une trentaine de personnes pour s'amuser aux mêmes rituels que dans la partie solo ; mais cette fois ci rien ne nous sera imposé. On ira au gré du vent d'abord, puis ensuite on se fixera des objectifs. On découvrira, un peu, plutôt qu'on suivra un chemin. Par de petits portails magiques on naviguera vers des sortes d'univers parallèles pour partager d'ancestraux mais virils combats avec des adversaires : voler, abattre, courir, tous ces réflexes simples qui redeviennent importants à partir du moment où on veut affronter quelqu'un. Un véritable prolongement de l'histoire principale du jeu en somme. Partie abyssale qui est là pour nous étourdir, tenter de se dégourdir dans un univers où toutes les valeurs sont faussés, vieillissantes, et où plus personne n'a rien envie de faire là. C'est après avoir fait ce deuil je pense, probablement devra-t-on d'abord en passer par la mort, qu'on pourra s'ouvrir pleinement aux cavalcades insensées et incessantes. Libéré d'un poids qui accable l'aventure. On deviendra quelque chose d'autre, quelqu'un surtout, un fantôme de quelqu'un d'autre, on rencontrera d'autres joueurs et on essaiera peut-être de vouloir faire quelque chose de ce lieu. Améliorer le jeu qu'on a déjà en mains. Car c'est sûrement par cette proposition que toute fiction peut se proposer comme chef d'œuvre.

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