jeudi 23 juillet 2009

Je suis un aventurier

PETE DOCTER, BOB PETERSON - UP


Mû par ses envies de jeunesse Carl Fredericksen, octogénaire grincheux mais pas forcément belliqueux, part à l'aventure. C'est le rêve qu'il partagea toute sa vie durant avec une jeune fille, puis femme, celle qu'il aima et avec qui il avait son quotidien. Sa femme décédée, sa maison vide, Carl n'a plus rien qui le retient.

Son toit s'ouvre et une armada de ballons se déploit, touche le ciel, colore les murs d'une jeune fille en passant devant ses fenêtres. Le goût de l'image juste n'aura jamais été aussi prégnant dans un film estampillé Pixar. On connaissait déjà leurs tendances à utiliser la magie technique de l'animation pour toujours nous inviter à voir, tout nous montrer. Chaque plan est millimétré ; durée, cadre, composition. On ne peut parler que d'apothéose dans la carrière du studio d'animation (et avant tout Pete Docter, son réalisateur, et John Lasseter, chaperon de toute cette petite bande d'allumés). Carl découvrira le pays exotique et perdu qu'il imaginait visiter un jour étant enfant, un pays où les chiens parlent avec une voix ridicule et où on traque le dodo géant et multicolore pour son exemplarité. Le rythme n'est pas que soutenu, il est musical et touche à la grâce d'une symphonie. Océan de couleurs, mouvements et vibrations, adagio allegro vivace. On ne perd pas une seule seconde. Véritable montagne russe du cartoon, Up se laisse aller et se permet tout.

Pixar tente le coup de bluff : littéralement déballer un discours et espérer que, même sans trop comprendre, l'enfant en sera imprégné. On oublie le support des monstres, des voitures de courses voire des superhéros pour parler de l'être humain dans ses spécificités les plus disgracieuses : vieillesse, arthrose, mauvais caractère. L'attaque est de front. A nouveau, et comme il était déjà le cas à l'époque du premier Toy Story, Pixar met en place un système éducatif qui continue toujours de justifier ses grands moyens et son incroyable capacité technique. Profiter d'une porte ouverte, profiter que l'enfant soit attentif et bien là une fois qu'il entre dans une salle de cinéma, pour essayer de l'initier à des choses auxquelles il n'est pas totalement préparé. Up ne fera pas résonner notre âme d'enfant mais nous accablera par sa radicalité toute simple face aux événements de la vie. Grandir, vieillir, mourir. Perdre ceux qu'on aime. A un jeune âge où la mort n'est encore qu'une posture et qu'un mot on commencera à transfigurer cette idée en concept. Toujours en nous rassurant : la perte frappera dans nos vies et ce de façon répétitive mais tout ça, après tout, ce n'est que de l'aventure.

Wall-E était déjà presqu'intégralement muet (il l'était entièrement dans sa première moitié) et atteignait une sorte de symbolisation fantastique du spectacle : le son se mêle aux teintes et petits ou grands comprennent chaque information avec une clairvoyance maximale. Tout se lit comme dans les pages d'un livre. Cette grande force on la retrouve dans Up. Cette hyper-lisibilité devient le sacerdoce du studio d'animation Pixar et force est de constater qu'ils s'en tirent comme personne. Deux magistrales séquences musicales viennent encadrer le film (en son quasi-début et à sa quasi-fin) : une vie qui passe en images puis en photos. Et il n'y a pas besoin d'y ajouter quoi que ce soit. Une femme qui ne deviendra jamais mère assise sur une balançoire, de dos. Un tuyau d'arrosage qui permet de rester attaché à sa maison traîne sur le sol. Les pitreries colorées d'un oiseau gigantesque et d'une stupidité rare. Les gueulements d'une troupe de chiens hostiles qui se transforment en rires et en cris d'accueils. Il y a un art de la transformation qui est en train de se créer chez Pixar. Nous ne sommes plus dans le travestissement des années 90, d'une époque hybride où nous testions de nouvelles choses, où l'animation faisait rage mais sans convaincre, où les enfants pouvaient rêver à faire comme les plus grands. Maintenant, on y arrive. De rien, on bâtit le plus beau facsimilé de la vie. Un nouvel élan cinématographique est en marche, un cycle se déclenche tout autant qu'il se conclue. Up est l'aboutissement d'années de recherche de sens et d'images du studio Pixar. Il est une nouvelle pierre ajoutée à l'édifice, toujours en s'excusant un peu d'avoir autant d'argent et de faire dans le tape à l'œil, toujours discrètement et avec timidité, mais il est la pierre qui trône en haut de la pyramide. Toy Story 3, l'année prochaine, nous racontera la séparation définitive entre Woody, Buzz et leur propriétaire, Andy, qui entre à la fac. Transformation d'une image en une autre et toujours transformation d'un âge en un autre. John Lasseter sait qu'une bonne histoire peut tout raconter et toujours se faire comprendre. Alors il se décide à accompagner les enfants dans leurs petites vies, leurs petites évolutions, pour les aider parfois à mieux grandir. Grandir, on a que ce mot à la bouche quand on est parent et on en a par avance assez quand nous ne sommes encore que des enfants. Et pourtant, en même temps que le cinéma grandit - et prend une leçon d'humilité - il y a des enfants qui grandissent et qu'on peut aider sans même en avoir l'air. Le cinéma non pas comme bouée de sauvetage mais comme accompagnateur, comme animal de compagnie aimant et franc du collier. Et peu importe notre âge on a tous besoin d'être accompagné. Pour courir le monde, capturer des bêtes fantastiques et protéger les nôtres. Toujours aller plus loin dans l'aventure.


10 / 10


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