mardi 5 mai 2009

Le pays indien


JASON AARON & R.M. GUÉRA, ESSENTIELLEMENT - SCALPED


Dashiell Badhorse rentre chez lui. La réserve Prairie Rose. Il l'avait quittée adolescent en se promettant de ne jamais revenir. Et en quelques pages le voici revenu, enrôlé dans la police/milice tenue (et donc corrompue) d'une main de fer par Lincoln Red Crow, le chef local, et le voilà pion parmi d'autres ; en place pour une partie sans perte ni victoire. Une partie où les victimes seront, elles, nombreuses.

Parfois le plaisir simple de la narration peut prendre l'avantage sur tout le reste. Un coup de crayon précis mais puissant, une voix-off discrète, un kaléidoscope de personnages qui s'engueulent et se pointent des flingues sous le nez. Scalped a une vitalité très rare pour le médium du comicbook américain. Inscrit dans la grande lignée des titres Vertigo (estampillé donc pour adultes et adolescents) la série s'affranchit de ces règles et de ces limites par son courage, son entendement et sa vision.

L'endroit le plus oublié et le plus honni au monde. Plus de meurtres et de suicide qu'ailleurs. Un taux d'alcoolisme qui relève du record. Il n'y a plus de vie dans le pays indien, juste le désespoir, la prise de pouvoir, le contrôle, la déchéance. Jason Aaron reprend les rennes du comicbook américain avec un message fort. Pendant très longtemps (fin 80ies / début 90ies) c'est les anglais Alan Moore, Grant Morrison, Peter Milligan et consorts qui étaient les chouchous du lectorat américain. Aaron revient comme nouveau jeune premier, fier de ses racines et consciencieux sur l'histoire de son pays. Et parfaitement influencé par les méthodes de narration américaines qui ont déjà fait leurs preuves.

Je ne peux m'empêcher d'évoquer « la nouvelle série américaine » devant Scalped. The Wire pour son côté noir, son cri de désespoir extrêmement passionné, les Sopranos pour son cartel d'hommes de pouvoirs qui essaient tant bien que mal de tenir leur statu quo, peu importe le nombre de cadavres, et Lost, pour sa captivante dilution de l'intrigue. L'ouverture aura des airs de révélations (sans jamais vraiment en être une) et imposera une ellipse après laquelle l'histoire courra sur plusieurs années de publication. On prend une nuit d'horreur et on l'exploite sur plusieurs centaines de pages, plusieurs points de vue, on ne laisse vierge aucun interstice. On oublie l'idée même du héros ; et je veux dire par là le héros en tant que personnage principal. On parle de famille, de connaissances, de relations et de passé. Plus beaucoup de ce qu'il reste, car il ne reste pas grand chose. Les épisodes laissent une grande place aux flashbacks et à une idée claire et précise : tel numéro nous ouvrira la voie vers la compréhension des actes d'untel, puis untel. Et ce qu'on croyait puzzle devient rapidement mosaïque débordante.

Chaque événement devient capital sur plusieurs mois de lecture et nous enfonce toujours un peu plus profond les deux pieds dans cette terre. La drogue devient l'exutoire forcé de tous ces gens qui assistent aux meurtres, aux viols, aux tortures, et à ceux qui continuent à sourire après ça. Le genre noir devient la seule ligne de stabilité pour les personnages, obligés qu'ils sont de se tirer dessus pour oublier tout le reste. Scalped est l'histoire d'une prison, une prison en plein air, où la corruption et le sang deviennent ce sur quoi on doit absolument fermer les yeux et ainsi survivre. Et le marasme qui dévore ces habitants semble vouloir nous frapper fort pour une raison qu'on ne peut que comprendre : quelque part, le pays indien existe vraiment.


28 backissues sorties à ce jour et le 4ème trade paperback (The Gravel in your Guts) complète jusqu'au 24ème numéro. N'hésitez pas à vous jeter sur le premier volume, The Indian Country, qui, avec le dollar bas, se trouve à moins de cinq euros via amazon. Cela commence bien et la qualité ne cesse de croître.



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