lundi 27 avril 2009

Le courage d'avancer, la faiblesse de se battre



JOHN MILIUS, WILLIAM J. MACDONALD, BRUNO HELLER - ROME, SAISON 1


Qualifier Rome d'épique serait un euphémisme. Après douze épisodes je suis totalement convaincu. Au départ je me suis dit que ça restait dans les canons du genre du documentaire-historique : c'est-à-dire que j'ai pu beaucoup m'instruire sur cette période qui me fascine (la chute de la république Romaine, une ère de trouble social et politique, et l'avènement prochain de l'Empire Romain). Loin d'être un cador dans le sujet cela m'a ouvert beaucoup de portes, m'a permis d'apprendre beaucoup de faits sombres ou glorieux (tout en gardant des réserves par rapport aux endroits où le travail de fiction a fait son œuvre, en allant parfois un peu trop loin). Mais le travail de fiction et de structuration du récit en lui-même est brillant. On observe les grands événements de l'histoire par le petit bout de la lorgnette en suivant deux « petites gens », légionnaires au départ, Titus Pullo et Lucius Vorenus. On suivra leur grandeur et leur décadence aux côtés des membres du Sénat, des consuls et autres nobles familles tramant de nombreux méfaits en coulisse.

On est d'abord un peu submergé par cette quantité de nouveaux visages et de nouveaux noms à apprendre mais, justement, on nous aide beaucoup en nous montrant bien sur quels points on doit se focaliser (dans la saison 1 ce sera par exemple la relation Brutus/César, Pullo & Vorenus indubitablement, ou encore le jeune Octave, le futur Auguste). Alors je me suis répété depuis le départ que ça ne pourrait atteindre dans mon cœur le niveau d'affection que je ressens pour (dans des genres ou pour des raisons extrêmement variées) les Sopranos, Lost ou encore The Wire. Et pourtant, je fus surpris. Rome talonne mon top 5 (les 3 sus-cités + Buffy ou encore X-Files) de très près. Le seul véritable problème reste celui du format : une vingtaine d'épisodes c'est bien sûr trop court. Pas trop court pour juger mais pour le comparer aux Sopranos ou à Lost qui représentent entre 80 et 100 heures de programme. J'ai du mal à les faire jouer dans la même catégorie.

La géographie de la série elle-même permet de flirter avec le symbolisme (le sénat, le forum, etc.) sans jamais s'en amouracher. On surplombe la ville de Rome, on va même parfois plus loin pour assister aux triomphes et aux conquêtes, mais on gardera toujours une neutralité impassible. Comme si nous appartenions aux dieux que les personnages essaient parfois d'amadouer ou d'acheter. Dieux qu'ils qualifient eux-mêmes de grotesques et de « datés ». La corruption politique s'installe dans tous les cœurs et il n'est jamais vraiment question de rester fidèle à ses principes. Car l'époque l'interdit. On s'appesantit d'avantage sur le déterminisme social, sur l'homme oblitéré par l'institution, les règles, les codes, les transgressions, les coups d'épées proclamés coups politiques. De nobles causes entraînant de terribles actes. On va d'une justification en une autre, on oublie assez vite les combats et les guerres, et on s'installe là où, dans l'histoire, tout a pu se jouer en une poignée de secondes. Le bon goût réside dans le fait que rien ne nous est jamais asséné, que la misère d'un membre du peuple sera traitée avec la même acuité que l'assassinat d'un grand nom politique. La pression historique est évacuée au mieux. La seule véritable pression reste celle qui se trouve « derrière le rideau ». Souvent la caméra s'installe, elle aussi, dans un coin confortable pour filmer les flirts et les ébats. La lumière s'éteint doucement, la musique se détend, et les caresses se suivent de confessions sur l'oreiller. Et les véritables décisions sont prises en couple, ou plutôt en duo, pour tout le bien ou tout le mal de l'autre. Réduire les bouleversements historiques à si peu de choses (entre autres, bien entendu) tient à mon sens bien plus du réalisme que de l'édulcoration. L'édulcoration qui a lieu parfois mais toujours au nom de l'aplanissement fictionnel, de l'aide apportée au spectateur et de la minutie à bâtir une structure narrative solide et aux enjeux prégnants. Rome réussit dans tout cela, et sur bien d'autres tableaux encore.

Je poste donc ici ma scène favorite (qui m'a fait pleurer je n'ai pas honte de l'avouer) qui perdra de son poids si elle est regardée par quelqu'un qui ne connaît pas la série mais qui, je pense, a bouleversé tous ceux qui ont regardé Rome. La preuve faite que la série laisse une large place aux crevasses de l'histoire et qu'elle s'attache à ses personnages avec respect.



Rarement je n'ai vu une telle faiblesse avancer de pair avec le courage, rarement je n'avais cru pouvoir observer des hommes anéantis, privés de toute substance et de véritable point de fuite. Broyés, ils continueront à sa battre comme des furieux, défendant leur honneur et celui de leurs amis. Ce sera un combat voué à l'honneur de leur légion, comme la seule véritable famille qu'ils aient réussi à aimer.


9 / 10

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