mercredi 18 novembre 2009

D'une seule voix : Entretien avec Xavier de Lauzanne


Ce 11 Novembre sortait d'une seule voix, un documentaire traitant de la tentative de cohabitation entre musiciens palestiniens et musiciens israéliens, juifs, chrétiens ou musulmans, participant ensemble à la clameur d'une tournée française. Xavier de Lauzanne, son réalisateur, nous donne quelques clés sur la lecture et les intentions de son œuvre.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ; d'où tout est parti ?

Fin novembre 2004, j’avais été envoyé par une chaîne du câble en reportage à Jérusalem pour un concert organisé par un producteur français, Jean-Yves Labat de Rossi, réunissant des musiciens israéliens et palestiniens, dont un certain nombre était sortis miraculeusement de Gaza pour l’occasion. Projet impensable qui avait pourtant réussi. L’année suivante, le projet d’une tournée musicale en France avec ces mêmes artistes était né. J’ai donc demandé à Jean-Yves de pouvoir le suivre, caméra à l’épaule, pour observer ce qui allait se passer dans les coulisses. Pour voir dans quelle mesure un projet artistique pouvait générer des rencontres impossibles en temps normal.

Vous avez donc suivi Jean-Yves Labat de Rossi dans ses pérégrinations musicales et internationales. Quel a été votre regard, vos rencontres personnelles les plus marquantes ; qu'est ce qui vous a le plus touché dans l'expérience humaine que vous a fait connaître ce tournage ?

Ce film m’a fait rencontrer des personnes extrêmement différentes les unes des autres mais totalement liées par une même passion : la musique. C’est à travers cette passion qui les anime que tout peu changer. A l’instar des autres conflits dans le monde, le principe moral n’y peut rien au règlement du conflit qui ébranle le Moyen Orient. Par contre, tout ce qui est de l’ordre du « vécu » et du « ressenti » peu avoir une influence sur les mentalités et être l’amorce du changement. Dans cette histoire je ne crois pas au « bons » ni aux « mauvais », il n’y a que des gens qui subissent des influences. « L’axe du mal », c’est la politique résultante d’une idéologie dont l’arme principale est la stigmatisation, et la victime, l’individu. Ce qui m’intéresse dans un projet comme « D’une seule voix », c’est de montrer que, à partir du moment où il y a « partage », tout un chacun est capable de progresser face aux peurs que représente « l’ennemi ». Il est alors possible de se dégager de la propagande médiatique et politique qui nous inhibe et de constater à quel point nous sommes identiquement « sentimentaux ». Ce n’est pas de l’angélisme mais au contraire, une recherche avide de « concret ». Car des mots, il y en a toujours trop.


Le film, pour sa tournée d'avant-premières, a été accueilli dans plusieurs cinémas - il a reçu de nombreux prix lors de sa participation à plusieurs festivals - mais également dans certains centres culturels juifs. Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans l'accueil du public ?

Au fur et à mesure des projections, j’ai l’impression qu’il y a une nette différence entre ce que propose la télévision en termes de réflexion et ce qu’attendent les gens. Il y a du mépris dans les bureaux parisiens. On se fait de l’argent en donnant de la nourriture aux cochons. Pour la télévision, le rapport au spectateur est binaire, c’est le miroir aux alouettes : on lui promet de la « culture » tout en satisfaisant ses bats instincts. Je suis choqué par le manque de déontologie et de respect. En ce qui concerne le documentaire, tout le monde se gargarise devant le succès de documentaires dénués de prise de risque dont les recettes de fabrication sont bien connues. A côté de cela, le documentaire de création est en train de mourir dans son coin. Il y a toujours une bonne raison pour ne pas diffuser un film comme « D’une seule voix ». Aucune éducation du regard en ce qui concerne le documentaire n’est actuellement proposée par le service public. Et une chaîne comme Arte, malheureusement seule garante du documentaire d’auteur, laisse entendre au grand public, par sa ligne éditoriale, qu’il est réservé à une élite. Alors, face à tout ce que peuvent me dire ces gens cyniques et blasés qui peuplent les bureaux parisiens, je suis très agréablement surpris de voir l’aptitude des spectateurs dit « moyens », à aimer un documentaire à partir de moment où il se sentent « invités » où un effort est fait sur « l’annonce » et sur « l’accessibilité ». Le documentaire de création est un genre à part qui ne peut se passer d’une pédagogie : il doit être présenté à travers l’histoire qui a fait naître le film et la personnalité de son auteur.

D’autre part, ce film a la faculté de rassembler autour de l’idée de paix, dans son aspect le plus modeste. Les spectateurs comprennent très bien sa particularité dans le climat actuel. Les débats qui ont toujours tendance à dégénérer sur ce sujet ne sont ici presque jamais animés par des points de vu partisans. Le film valorise non seulement les musiciens qui ont participé à cette tournée mais aussi celui qui les regarde, quel que soit son âge, sa religion, son origine, son appartenance politique. Quand la lumière dans la salle se rallume et que je vois tous ces regards un peu gênés, bordés de larmes, je me dis que mon combat, avec François-Hugues de Vaumas à la production, pour que ce film existe a porté ses fruits.


Votre film s'attarde sur diverses communautés et la façon dont elles interagissent. Avant cela vous avez tourné pour KTO et vous avez participé à l'élaboration de plusieurs documentaires tournés en Thaïlande au Cambodge ou encore au Vietnam. Après tant de voyages et de rencontres de quelle façon vos propres croyances ont pu être bouleversées ? Comment peut-on mettre en image avec respect quelque chose d'aussi subreptice et transparent que la foi ?

La foi c’est croire. La foi ne s’explique pas. Elle se vit, dans mon cas, dans la conviction intime que sans amour, nous mourrons dans tous les sens du terme. Et le besoin d’amour ne s’explique pas non plus, si ce n’est par notre lien filial avec Celui qui nous a créé. Tous mes voyages n’ont pas bouleversés ma croyance dans le sens où je m’y serais opposé. Ils m’ont permis en revanche de me détacher de l’aspect conventionnel d’une religion héritée de mes parents pour ne plus m’attacher qu’à son application, qu’à sa vérité. Cela ne veut pas dire se détacher du culte qui permet de se relier au sacré, mais fort de ses convictions, se confronter concrètement à la réalité de la vie qui peut être extrêmement dure. Je pense que la foi nous aide à être intuitif sur la construction de sa vie, à nous détacher de ce qui nous obsède, à avoir le sens de l’Homme… à avancer. Sa grande vertu est certainement la conscience de l’espoir qui réside en toute situation, en toute personne. C’est en cela qu’elle peut avoir une influence sur la manière de réaliser un film. Mais ça reste quelque chose de très personnel qui ne peut se définir en concept.


Quelle est votre éthique en tant que réalisateur de documentaires (de longue date désormais) ? Quelle part de votre travail accordez-vous à la fiction et où se situe votre attirance pour cette dernière ?

Ne jamais tromper la réalité. Dans le documentaire, on ne joue pas avec des acteurs, on met en scène des personnages réels avec leur histoire. Il est très facile de les dénaturer au profit d’un film plus enlevé et plus distrayant que n’est la réalité. En revanche, il est beaucoup plus difficile de respecter leur naturel tout en les incluant dans une narration filmique fabriquée suivant les contraintes du genre. La responsabilité est énorme.

Dés qu’il y a « progression narrative », il y a « histoire » et donc rapport à la fiction. Au tournage, même si on ne met pas en scène les gens proprement dit, on doit savoir déterminer l’axe du tournage (cadrage, choix des scènes, interviews…) pour avoir les éléments d’une histoire. L’art du montage, c’est l’organisation du récit avec un style et une trame de fond, exactement comme la littérature. Ici, il prend forme avec des images tirées d’une réalité ; dans la fiction, avec celles tirées d’une mise en scène.

Depuis toujours je suis attiré par la fiction. Le documentaire est un hasard de parcours qui a été mon école. Maintenant, j’ai envie de faire de la fiction pour être dans un processus de création pure. Dû à l’utilisation de la réalité, le documentaire est cerné par tout un ensemble de contraintes qui, dans la fiction, peuvent voler en éclat et laisser place à une expression artistique plus libre.


Sans avoir la prétention de se poser en tant que "film de la paix" la substance même d'Une Seule Voix contient un message fort et qui tente de se détacher de toute contrainte politique. Modifier la société et ses consensus, la paix à travers un médium, vous y croyez ?

Bien sûr j’y crois sinon je n’aurais jamais pu terminer « D’une seule voix ». Mais effectivement, soyons clairs, ce n’est pas un film ni une tournée musicale qui va faire la paix. La paix ne peut être scellée que par des propositions techniques et politiques. Mais avant cela, il faut qu’il y ait une volonté émanant de la société civile et que cette volonté soit suffisamment exprimée pour qu’elle soit prise au sérieux. Une tournée musicale comme « D’une seule voix » permet d’exprimer et d’expérimenter cette volonté de paix dans un cadre bien précis, dans un instant donné, avec un vecteur qui encourage à se désolidariser de la politique. J’ai pu vérifier auprès des musiciens qu’un projet comme celui-ci travaillait leur conscience. Certains ont gardé des amitiés solides qu’ils n’auraient jamais imaginé avoir avant. D’autres ont modifié certains aspects de leur comportement. D’autres encore relativisent un peu plus leurs prises de position. Et enfin, certains sont restés à l’écart mais réaliseront peut être un jour, lors d’une autre prise de conscience, l’importance de ce qu’ils ont vécu. Il est impossible de mesurer l’impact que « D’une seule voix » aura dans leur vie à long terme mais la trace de cette expérience ne s’effacera jamais en eux.



Vous pourrez retrouver la liste des salles projetant "D'une seule voix" (ainsi que les différentes projections-débats) sur le site officiel du film.


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