TSAI MING-LIANG - HEI YANQUAN (I DON'T WANT TO SLEEP ALONE)
Des dizaines de personnes prient pour de l’argent : quelque peu, ou la fortune pour certains. Le prêtre est capable de leur donner les numéros gagnants d’une loterie. Hsiao Kang, sans le sou, sans logis, sans parole, se confronte à lui et à ses hommes de mains. Passé à tabac, ravagé, il erre dans Kuala Lumpur pour finalement être recueilli par des travailleurs Bangladeshi, et en particulier, Rawang.
Ces travailleurs Bangladeshi l’entourent de leur force tiède, leurs attentions et leurs soins. Les corps en masses se pressent autour de Hsiao Kang et le touchent, l’alitent, le relèvent. A l’opposé, Chyi est seule face à ce corps lourd, comateux, celui d’un homme qu’elle tient en vie en le rendant plus beau. Regard vide, poids panique. L’attachement, l’aide, est unidirectionnelle ; Chyi lave le corps, Rawang tire Hsiao Kang de sa misère corporelle, lui offre une place sur son matelas.
C’est différents espaces délimités qu’ils possèdent. Rawang tend la chose la plus primordiale à Hsiao Kang : la possibilité de dormir. Une fois cette excroissance corporelle et matelassée appropriée puis volée l’infidélité repousse le donneur et le receveur à une distance considérable.
Statiques ; les personnages solitaires ne cherchent à trouver quoi que ce soit. Rawang aime, s’inquiète, toujours dans ses gestes, et s’écrase sous son matelas qu’il traîne de place en place pour trouver un endroit plus confortable. Le sexe, lui aussi, semble unidirectionnel. L’achèvement des deux corps essayant de faire l’amour dans la fumée ne peut s’achever que par de la douleur et de l’inconfort, et le sexe n’est plus une option envisageable.
Le regard avance à tâtons, en reptation, pour se cogner dans les murs. L’espace fixe, naît un instant pour quelques minutes de vie. Le lac est l’endroit vers lequel tout les corps sont aspirés, quitte à traverser le chaos lourd des immeubles crevassés. Le plus beau des papillons qu’il m’ait été donné de voir se pose sur l’un d’entre eux, virevolte et fait de l’endroit le sien.
Les parties des corps sont sans force mais dignes. Dès les premiers instants on nous offre l’image d’un corps latent, mi-mort mi-vivant, peut être imaginant ? Et c’est cet homme qui est désigné et condamné à ne jamais sortir, à dormir seul pour toujours, à ne rester qu’un corps. De lui s’échappe des pôles humains : l’affection, la solitude, le dévouement, tirés à leur extrême. Ses trois représentations vont s’effleurer puis s’entrechoquer, vouloir se donner la mort, se caresser, s’embrasser. En se frottant les uns les autres ils transgressent leurs états de corps mort et vide pour conforter leur existence d’une unique façon : en collectivité.
Rawang n’était qu’une infime partie d’une confusion de masses, Hsiao Kang un exilé qui ne sait pas où il vit, Chyi le vecteur d’un amour mère/fils fils/mère qui ne peut communiquer que par son biais et son labeur. Dans ce triangle émotionnel, la patronne du bar, étrangère aux recherches du trio, ne peut que se perdre, tenter d’atteindre l’un d’entre eux mais ne pourra jamais s’achever.
Le plus étonnant c’est qu’à aucun moment les corps ne se blessent. En se touchant en se bousculant ils ne font que s’agripper et s’étendre, ils ne peuvent ouvrir les corps et faire couler le sang. Au contraire des personnes qui s’attachent par un amour les protagonistes ne se construisent pas un monde référencé, en réflexion sur lui-même où l’on ne peut rentrer ni sortir, ils ne cherchent pas à se rassurer. En vivant l’inconnu ; c’est comme leur unique possibilité. Les espaces meurent un instant, l’incandescente spontanéité se condense en fumée qui envahira peu à peu l’image. C’est le film lui-même qui s’empoisonne, retient les personnages à distance, et tente de s’achever, tuer ce qui ne peut être brûlé.
Le sommeil préserve de la mort.
2 commentaires:
Hugues, puis-je te voler la phrase "échos en flou des mémoires" de ta critique de Syndromes pour m'en servir de titre de la mienne ? Je ne vois vraiment rien de mieux.
Tu peux. Aucun problème.
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