On a du mal à croire que ce soit la fin de cette brillante formation suédoise ; celle-là même qui papillonne dans nos oreilles depuis presque vingt ans déjà (et tant d'albums). L'été dernier Esbjörn Svensson est mort durant un accident de plongée et il avait 44 ans. Et ça semble déjà être une vieille histoire. Une histoire de travail et d'enfance (le batteur du trio étant l'ami d'Esbjörn Svensson depuis toujours). Fauché, l'homme comme le groupe désormais déformé et décapité, comme tant d'autres (retour sur le cas E.S.T. ainsi que d'autres terribles accidents amenant un groupe à terminer tout en haut ou en bas, un article brillant) alors qu'il n'était ni à un tournant de sa carrière ni à un point de chute. Et le constat accidentel devient dernier témoignage et testament. Amer au vu des circonstances, on tremble au départ ; on tremble quand on doit lancer l'écouter de ce dernier album martyr (qu'on doit considérer comme un album mort, mort pour la musique). On sait pertinemment qu'on a l'histoire d'E.S.T. à découvrir, encore beaucoup d'albums passés, les prémonitions qui amènent à cette culbute, ce dos d'âne dans l'histoire du jazz et de la musique contemporaine, celui d'une disparition mais avant tout d'une angoisse. L'angoisse de la circonvolution, l'angoisse qu'Esbjörn Svensson est fait tout ça pour rien et qu'il soit oublié, qu'on s'acharne à recommencer à zéro. J'imagine que c'est quelque chose comme ça, ressentir le deuil. La mécanique est trompeuse et excitante ; la fin d'un livre a valeur de point d'orgue dans un récit, la fin d'un film amène souvent à un bilan méthodique, mais la fin de la musique, ça ressemble à quoi ? Et bien la fin de la musique c'est tout sauf la fin, c'est l'Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, c'est l'évasion, le point de fuite vers l'éternel. La transcription de notes, juste des notes, rien voué en soi à se terminer mais plutôt à être rejoué. À l'écoute Leucocyte respire indubitablement, il se métamorphose et se scinde ; se multiplie pour atteindre différentes formes. Leucocyte est tout simplement un album d'E.S.T., plein de ses vices et de ses obsessions. Il ne présente pas d'avancée majeure dans l'histoire du groupe. Il s'inquiète à se constituer solidement pendant une trentaine de minutes avant de se laisser aller vers les limbes. Pur accident formel, le groupe revient au latin de par ses titres, à la déliquescence douce et tranquille. Le repos d'un instant pousse vers un nouveau mouvement, le dernier par la force des choses, un début une intermission une mort. Une finitude et un soupçon d'infinitude. Dans ses derniers instants E.S.T. aura été habité, presque fatigué. Il se sera débattu pour gagner un peu plus de temps alors que d'étranges voix hantaient (déjà) ses instants de répit.
Ou alors non, E.S.T. aura seulement façonné un album de plus avec tout son courage musical et c'est parce qu'il n'en est qu'un parmi les autres qu'E.S.T. ne pourra jamais vraiment connaître de fin.
mardi 17 février 2009
Interruption
ESBJÖRN SVENSSON TRIO - LEUCOCYTE
Libellés :
e.s.t.,
esbjörn svensson,
jazz,
leucocyte,
musique
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire